“Face au soleil et face au mont doré de rosée par l’aurore,
Est l’esplanade à la vue longue où balancent les lents bouleaux.
Ils frémissent au fil de l’air parmi les frênes et les ormes,
Et de la ruine à l’abandon bruit un chamaillis d’oiseaux.
Rien n’est mort. Une rose ici te donne son haleine encore :
Et cette rose maintenant, elle sent meilleur qu’aucune autre.
Parce qu’elle est redevenue sauvage.

Vous qui vaquez dans le vaste des plaines,
Vendant la toile, achetant le chiffon,
Ou qui peinez de toute votre peine
Sur les chantiers ou dans les Bois-Charbons,
Il vous faut être au dur argent qu’on gagne :
Les soirs, pourtant, regardant devant vous,
Vous retrouvez d’autres soirs et le goût
Du pain de seigle et du vent de montagne.

A la racine de ce mont suivi des piverts et des huppes,
Là où les trois étangs carrés étagent leurs dalles d’eau brune
Entre le rang d’aveliniers et la rampe de pins obscurs,
Là où sont les cours et l’entrepôt, le portail et la tour caduque,
Le frêne pleureur et le vent. Là souvent je suis revenu
Rebâtir dans l’air un château qui me regardât sous la lune
D’un feu de lune à toutes les fenêtres.

Ce soir, vous qui trimez à tant de lieues
De ce bien-fonds sans limite et sans nom
Où sont les puys couleur de pierres bleues,
Hommes, amis, pays et compagnons,
Rappelez-vous l’histoire à cent histoires
Qui vient de loin sur le vent et qui court
De bourg en bourg, de labour en labour,
Faite d’un souffle et de notre mémoire.

La vieille histoire sans bon sens, et qui n’a ni père ni mère,
Se lève de l’ombre et s’emmêle au bavardage des veillées.
On a parlé de cinq ou six, aux yeux vifs, aux lèvres mouillées,
D’une au grand coeur ; de vingt garçons, d’un surtout et de ce qu’il valait
Son sang l’a chanté, celui-là ! Ils sont à six brasses sous l’herbe,
Mais tant que vous, vous êtes bons pour bûcher, rire et faire tête,
Ha ! n’est-ce pas qu’ils ne sont pas si morts ?

Va, maintenant, va vers eux, vieille histoire,
Descends des plombs et des soixante puys,
De ces pays d’air bleu, de pierre noire.
Pays du peuple aux os durs, nos pays !
Va vers ceux-là que l’Auvergne accompagne,
Si loin soient-ils, vole-leur au devant !
Vieille musique, aussi loin que le vent,
Vole vers ceux qui sont de la montagne.

Il est large notre pays, aussi large que deux bras;
Plus large encore qu’on ne dit, car elle est partout, la montagne.
Partout où l’herbe du matin palpilte et brille au vent sauvage,
Partout où court le conte fol, où passe un parfum de campagne,
Où l’homme d’aplomb sur ses pieds travaille d’un coeur montagnard,
Et, parce que la feuill est verte et qu’il est devant tant d’espace,
Rit à la vie, sous le soleil de Dieu.”

Henri Pourrat