J’aimerais parler aujourd’hui d’un projet qui me trottait depuis longtemps dans la tête : celui de monter une micro filature en Bretagne. J’y pensais depuis des années, en voyant d’autres initiatives se monter en France et en Europe, et je m’étais inscrite à un programme de 8 semaines pour des porteurs de projets qui démarrait début 2018 pour explorer l’idée et sa faisabilité.

A part en parler à quelques personnes de mon entourage proche, je n’avais rien annoncé tant que rien n’était fait, car je voulais d’abord commencer l’accompagnement de projet… Et là coup de théâtre, une connaissance annonce fin 2017 qu’elle se lance avec son mari pour créer la Petite Filature Bretonne en Centre Bretagne. Le ciel m’est tombé sur la tête j’avoue, à si peu de temps de commencer à me retrousser les manches, à quelques semaines près même ! car il est impossible de lancer deux projets aussi proches géographiquement dans le même domaine d’activité, ce serait néfaste pour les deux. C’est déjà suffisamment ambitieux et spécialisé sans en plus se créer une concurrence qui n’a pas lieu d’être, mais que faire alors ? Je me suis ressaisie, et j’ai ré-orienté mon projet avec l’idée plus large d’étudier la possibilité de créer une filière laine en Bretagne.

Je tiens à préciser en me relisant que je n’ai vraiment aucun souci avec le projet de la Petite Filature Bretonne, au contraire ! Je raconte cet épisode uniquement par rapport à mon cheminement personnel durant cette année, et Emilie et Nicolas ont tout mon soutien. J’y vois plutôt une drôle de synchronicité, comme quoi l’idée était dans l’air ! Je suis heureuse de voir que les projets autour de la laine se multiplient en Bretagne et j’espère de tout coeur que nous aurons bientôt une micro filature en Centre Bretagne, dont je compte bien utiliser les services. Vous pouvez suivre l’avancement du projet sur leur page Facebook. Le local est en bonne voie, les réponses des financements devraient arriver bientôt… on croise tout !

Tri des toisons des moutons d'Ouessant élevés à Quéménès

Tri des toisons des moutons d’Ouessant élevés à Quéménès

L’accompagnement de projet avec l’ADESS Pays de Brest a donc commencé, et ça a été une de mes plus belles expériences cette année. Mon parcours a débuté par l’Ideateur, qui est en gros l’étape qui permet de passer de l’idée au projet proprement dit. Cela mériterait sans doute un grand article à part entière mais je ne suis pas sûre d’avoir le temps de le faire, je vais donc juste poser quelques idées ici :

– nous avons des races locales, des éleveurs qui cherchent de nouveaux revenus et débouchés, d’autres qui se désespèrent de ne pas savoir quoi faire de leur laine, des particuliers qui ont quelques troupeaux… des tondeurs aussi, et peut-être des pistes à explorer avec les Chambres d’Agriculture, la Région ?
– nous avons des perspectives de transformation avec la future création de la Petite Filature Bretonne, Gloan Glav l’atelier de literie de Marion récemment installée dans les Côtés d’Armor, l’atelier de Nicolas Poupinel qui dispose d’une laverie écologique et d’outils de feutrage pour couvertures et yourtes, Bouclelaine et les Toisons Bretonnes pour citer les principaux vendeurs de fils à tricoter que je connais, sans compter les nombreux artistes et artisans autour du filage, du tissage, du feutre,… et les réseaux existants comme TMAB, les événements comme le salon Toutes Fibres Dehors, le festival des Fibres aux Fils… je ne peux pas tout énumérer mais il y a du monde et des initiatives.
– et nous habitons une région idéale ! La Bretagne est touristique mais elle vit aussi toute l’année, et elle dispose d’un dynamisme associatif et alternatif que j’ai rarement vu aussi développé ailleurs. Il y a un public ici qui recherche des laines éthiques et locales, et une mémoire attachée notamment à l’importance du tissage dans l’histoire et le patrimoine breton. J’en suis donc persuadée : c’est le terreau parfait pour re-développer une filière laine.

Tri de toison dans le jardin

Tri de toison dans le jardin

Ces huit semaines d’accompagnement ont été passionnantes et enrichissantes, en me permettant d’explorer différents aspects du projet avec les bonnes informations et la méthodologie pour le faire, et surtout en groupe : nous sommes ressortis de cette expérience très soudés et nous continuons de nous encourager mutuellement, cela m’a même redonné (un peu) confiance en l’humain de voir que d’autres personnes ont de beaux projets et des idées pleines de sens dans ce monde qui perd complètement la tête. Je ne sais pas dans quelle mesure on trouve des ADESS dans toute la France ou pas, peut-être ont-ils d’autres noms pour désigner les pôles de l’Economie Sociale et Solidaire (la fameuse ESS) ? Mais je ne peux que vous encourager à vous rapprocher de ces organismes si vous avez une idée en tête et que les approches 100% business et économie, start up, pitch et compagnie ne vous parlent pas plus que ça.

Les difficultés sont apparues au moment de commencer à parler du projet. Les personnes avec qui j’ai commencé à échanger m’ont dans un premier temps plutôt fait part de leurs réticences : il y a la peur de la concurrence (hors de question de partager son carnet d’adresses), celle d’être absorbé ou de disparaître dans un projet commun, des tentatives surprenantes de récupération qui ne jouent pas vraiment l’esprit du collectif, des idées similaires mais chacun dans son coin…  Je ne veux pas paraître jugeante en écrivant tout cela, j’ai bien conscience que chacun réagit avec sa sensibilité, ses fragilités, sa manière de fonctionner, ses craintes et ses ambitions aussi… Mais j’avoue que je me les suis parfois pris en pleine poire tant je n’avais pas vu certaines réactions venir !
Je me doutais bien que j’allais rencontrer certains obstacles et que ce ne serait pas un chemin court et facile, et ce qui m’est apparu pendant ces semaines d’accompagnement, c’est l’envergure réelle d’un tel projet, avec beaucoup de ramifications, un travail énorme, et qui me paraît impossible à réaliser par une seule personne.

Toison d'agneau Suffolk

Toison d’agneau Suffolk

Tout est dit dans le nom, c’est un projet de filière, avec de nombreux acteurs et partenaires, besoin de compétences et de savoir-faire variés, les réseaux et les contacts du plus grand nombre… Enfin quoi franchement, est ce qu’on peut vraiment parler de concurrence alors que tout le monde ou presque galère ? N’y a-t-il pas suffisamment de laine brûlée, abandonnée ou expédiée en Chine pour que chacun la valorise ici selon ses besoins et sa technique ?

Une matelassière, une filature et une fileuse n’auront pas du tout les mêmes besoins, tant en terme de qualité que de quantité, et l’idée est de donner de la visibilité et des débouchés à tous pour se développer et valoriser le travail de chacun, sans personne pour tirer la couverture à soi.
Je fais un constat simple, les événements qui fonctionnent le mieux pour mon atelier sont les festivals ou les marchés dédiés à la laine, car ils attirent un public intéressé par le sujet, davantage prêt à soutenir les exposants présents, voire à se faire un beau cadeau. Je vais régulièrement dans les Cévennes chez mes parents et l’association « la Toison d’Art » propose chaque année un parcours de marchés d’été dans tout le Sud Est qui semble bien fonctionner : je suis sûre qu’il serait possible de le transposer en Bretagne, avec toutes les cités touristiques tant sur la côte qu’à l’intérieur des terres, mais je ne peux pas monter un tel projet seule. Idem pour se fournir, je n’ai besoin que de quelques kilos par an, mais de toisons d’exception, les plus belles ou les plus originales possible en terme de teinte, de douceur, de boucles… rien à voir avec les quantités utilisées pour une yourte ! Et les laines utilisées en matelasserie ne sont pas les mêmes que celles utilisées pour créer des fils.

Toison de Cotswold

Toison de Cotswold

Vous voyez où je veux en venir, je pense qu’il y a une complémentarité à trouver, mais que pour cela il faut un réseau plus étendu et plus actif que celui d’aujourd’hui.
Identifier les éleveurs professionnels ou non, les sensibiliser à la sélection et à la valorisation de leur laine, leur proposer de nouveaux circuits et la répartir selon les besoins, la valoriser… C’est le travail d’une vie, il y a tant à (re)faire.
Nous l’avons vu au festival des Fibrophiles en 2016, le bonheur des gens à se rencontrer faisait plaisir à voir, les tisserands ne connaissaient pas forcément les éleveurs, le grand public cherchait des laines locales, des stages, du matériel…

J’imagine facilement un lieu qui serait la vitrine de cette filière, avec une partie pédagogique pour les scolaires et le public, une boutique, un centre de ressources sur ces sujets (ça c’est mon côté bibliothécaire !), avec un référencement de tous les acteurs, une partie exposition plus artistique, des stages de formation à toutes les étapes,… autour de la laine bretonne. Et ça aurait tellement de sens à l’heure actuelle de sensibiliser les gens à l’impact de ce qu’ils portent, en plus de ce qu’ils ont dans leur assiette !
Je garde bon espoir qu’un réseau se créé, et j’espère que les prochains mois nous permettront de nous réunir pour avancer sur ce projet commun. En attendant j’ai du pain sur la planche avec mon atelier et son développement, et je ne peux pas consacrer toute mon énergie à la création de cette filière, même si j’y participerai avec joie. A suivre donc !

(PS : je mets la main à mon troisième article de cette série sur cette année écoulée, avec le plus complexe à écrire : celui sur mon bilan émotionnel, créatif, moral… Et l’annonce tant attendue du stage de septembre 2019 avec India Flint ! A très vite pour la suite !)