Voilà un bon moment que je mûris cet article, car je suis en pleine réflexion sur mon atelier. Il promet d’être dense, sans doute le plus long que j’ai écrit sur ce blog ! J’espère que chacun y trouvera matière à penser, que vous soyez fileuse, tisserand(e), artisan dans un autre domaine, que vous ayez envie de lancer votre propre activité, que vous vous posiez ces questions vous aussi… ou que vous soyez tout simplement curieux du petit monde de l’artisanat !

  • L’importance du regard extérieur
  • Le choix d’un statut (auto-entrepreneur)
  • Le point sur ma démarche : choix des matières, provenance des fibres, environnement…
  • Internet et l’atelier (la place d’Internet) : quel bilan pour des outils comme Etsy, Facebook, blog…
  • Le réel
  • L’épineuse question du prix…

Cela fait maintenant plus d’un an que j’ai un statut officiel (d’auto-entrepreneur), après une première exposition dans la galerie atelier Menzao, et la création d’une boutique en ligne… Un petit bilan s’impose, et cela m’aidera je l’espère de poser tout cela sur le pixel, de partager ces réflexions avec vous.

  • L’importance du regard extérieur

Avant de rencontrer Soline de l’atelier Menzao et d’exposer dans sa galerie, je créais juste pour mes amis, mes proches et par le bouche-à-oreille… Il m’a fallu son regard pour prendre davantage confiance en moi, et oser imaginer que je pouvais partager plus largement ce que je faisais, exposer en galerie, chercher des événements, officialiser cela par un statut : avoir le regard d’un autre artisan sur son travail est incroyablement précieux pour son objectivité sur votre technique, vos finitions, le sujet complexe de la valeur de votre travail… Bref, merci Soline pour ce détonateur et ce merveilleux coup de pied au derrière qu’a été notre rencontre et l’ouverture de ta galerie 🙂 ! Pour toutes les portes qui se sont ouvertes depuis, tant personnellement qu’artisanalement… Merci aussi à Oonagh pour son soutien permanent, nos inspirations communes, sa vision saine, centrée et pleine d’humilité de notre rôle d’artisans !

Quelques unes de mes créations à l'atelier Menzao, 2011-2012

Quelques unes de mes créations à l’atelier Menzao, 2011-2012

  • Le choix du statut

Il m’a fallu beaucoup de recherches avant de me décider pour un statut : j’étais d’abord tentée par l’association, mais on m’a mise en garde ; en étant la seule animatrice, avec tout le matériel chez moi, même sans être dans le bureau, cela pouvait facilement passer pour une entreprise déguisée.
Les charges de micro-entreprises sont énormes (40% du chiffre d’affaire je crois !), quant aux coopératives, c’est très intéressant mais plutôt pour une activité principale, ce qui n’est pas mon cas : je n’ai pas besoin de déléguer la comptabilité et la paperasse, je suis déjà salariée par ailleurs et ce genre de structure induit des charges supplémentaires beaucoup trop lourdes pour mon petit atelier.
Restait donc le fameux statut d’auto-entrepreneur… Pour le moment je n’ai pas à m’en plaindre, c’est le plus simple à mettre en place. Mais cela représente 20% de charges, dont je ne reverrai jamais la couleur puisque je n’atteins pas les seuils de cotisation retraite pour l’atelier, et que je cotise déjà aux autres organismes (sécu, mutuelle, etc…) par mon autre activité. Mais au moins, j’ai un statut légal : je n’avais pas envie de faire les choses en douce, en croisant les doigts pour ne pas me faire pincer…

  • Ma démarche

  • Quelles matières ?

Jusqu’à présent, j’ai toujours travaillé des fibres naturelles (laines de mouton, soie, alpaga, mohair, angora principalement pour les fibres animales, lin, chanvre et ortie pour les fibres végétales) et j’ai toujours banni de l’atelier les fibres synthétiques. Les fibres naturelles sont un tel trésor à mes yeux qu’il est impossible de les remplacer par un procédé chimique et industriel… Je n’ai jamais été attirée par ce genre de matières et je ne me vois pas concilier rouet, métier à tisser, et fibres « chimiques », sans âme. Mais je me rends compte que cela ne me suffit plus : peut-être est ce l’influence de notre réflexion avec mon compagnon sur notre nourriture, notre investissement dans une AMAP et un réseau de circuit-court en plein essor à Brest ? Toujours est-il que cette prise de conscience s’est étendue à mon atelier.

  • Quelle provenance ?

Pour le moment l’immense majorité des matières « brutes » que je travaille vient de petits élevages dont je connais la démarche : Bretagne pour le mohair et l’alpaga, Belgique pour le Gotland, Sud Est de la France pour le mérino, achat à un particulier pour l’angora… Sur ce point là, pas de souci.

Mélange de Gotland du Mouchon et de bébé mohair d’Askell Gloann à la cardeuse, à l’atelier

Mais j’ai aussi un faible pour certains « dyers », des teinturières d’Irlande (Hedgehog Fibres), de Finlande (Lanitium Ex-Machina), du Danemark (Birthe P.)… ou plus rarement des Etats-Unis (Yarn Wench, Woolie Bullie et Pigeonroof Studios). Et pour ces teinturières malheureusement, il y a les kilomètres… Et puis quelle est la provenance des fibres utilisées ? Silence total ou presque… Mais après avoir lu plusieurs articles sur les conditions d’élevage des troupeaux en Australie notamment, je ne peux plus « zapper » cette question…

Je vais donc finir mon stock, et recentrer mes commandes sur des laines et des matières dont je connais la provenance, le plus possible. Je vais avoir besoin d’une phase de transition, le temps de me former à faire mes propres teintures, de trouver d’autres fournisseurs de fibres, d’apprendre à perfectionner mes mélanges à la cardeuse et avec mes futurs outils. Et puis je ne compte pas m’interdire le coup de coeur non plus, le but n’est pas de devenir une ayatollah du fil 😀 C’est davantage une prise de conscience, qui me conduira à approfondir et à m’approprier certaines étapes, et à recentrer encore davantage les ressources de l’atelier vers le local, l’autonomie et l’éthique, ce qui est tout à fait dans ma logique depuis le début. 

  • Quel impact sur l’environnement ?

Il y a la question de la provenance des matières, des conditions d’élevage et des kilomètres parcourus, mais aussi la question de la teinture et de son impact sur l’environnement, là encore les fournisseurs des fibres qu’on achète toutes prêtes sont muets sur le sujet : je vais donc reprendre mes notes du stage de teinture végétale, et approfondir par les multiples ressources disponibles (vidéos, forums et livres notamment !). J’aimerais mettre en route un coin dédié aux plantes tinctoriales dans le jardin ! J’ai aussi commandé des teintures Greener Shades chez Macomérinos : c’est une teinture sans métaux lourds, conforme aux normes de l’Organic Trade Association pour le traitement des fibres bio. Avec notre nouvelle maison j’ai enfin toute la place nécessaire pour ces activités !

  • Les commandes personnalisées

La plupart de ce que je créé pour l’atelier est désormais sur commande, d’où le peu de nouveautés pour la boutique virtuelle ! J’aime beaucoup ce mode de création, partir de l’idée de la personne, proposer une palette de couleurs, affiner, laisser mûrir, puis créer… J’espère que cela va continuer car j’y trouve un équilibre parfait entre ce que je peux avoir envie de créer spontanément, et la possibilité de mettre ce savoir-faire au service du projet d’une personne, connue ou non.

  • Internet et l’atelier

  • Etsy

Une grande question en ce moment, que penser d’Etsy ? J’ai choisi l’année dernière d’ouvrir ma boutique en ligne sur la plateforme de vente Etsy, qui permet de proposer mes articles en anglais et en français. Il y a énormément de monde sur ce site, tant côté créateurs que côté visiteurs, avec les avantages et inconvénients que cela comporte : un potentiel énorme, mais aussi beaucoup de difficulté à faire son trou, à se faire voir… Il faut espérer apparaître dans le moteur de recherche pour être bien référencé, donc perfectionner ses fiches-produits, essayer de participer à des « teams », ajouter des personnes avec des intérêts communs à ces « cercles », faire des listes de favoris et de « treasury » pour qu’on vous renvoie l’ascenseur… C’est rapidement extrêmement chronophage ! Je me suis retrouvée à passer des après-midis entiers à lire de la documentation, à faire des photos dès qu’un rayon de soleil sort le bout de son nez, créer mes fiches produits, les mettre en lien dans des équipes pour les faire voir etc… Tout ce temps passé sur l’ordi au lieu d’avoir les mains dans les fils, snif ! Je suis un peu plus rôdée maintenant, mais si vous vous lancez prévoyez d’y passer du temps.

Voilà donc mon petit bilan Etsy :

– Pour le moment, les teams ne m’ont rien apporté : je n’y ai pas trouvé une ambiance très sympathique, mais cela dépend sans doute des équipes, et du côté virtuel de la chose : c’est sans doute très différent lorsqu’on a l’opportunité de rencontrer les membres en réel. Pour le moment, dans les équipes qui ont un très grand nombre de participants, j’ai l’impression que chacun fait sa pub (articles, promotions…) sans échange véritable à part quelques annonces d’événements ; certaines fondatrices des groupes n’hésitent pas à tirer la couverture à elles et à faire de l’autopromo permanente, à organiser un événement en se réservant les stands de vente… On sent souvent un petit « club » bien établi, et à moins d’en faire partie, vous avez rendez-vous avec l’indifférence, et aucun retour. Je me suis alors tournée vers des plus petites équipes, plus sympathiques mais sans beaucoup d’impact du fait du petit nombre de participants… Visiblement, je n’ai pas encore trouvé THE bonne équipe, mais ne perdons pas espoir 😀

– Les cercles et les favoris : il s’agit d’ajouter des personnes à vos cercles quand vous aimez ce qu’elles font, qu’elles ont des goûts proches des vôtres, et d’ajouter des articles ou des boutiques à vos favoris : là j’ai un retour plus positif, une personne qu’on ajoute qui vous ajoute aussi, certaines prises de contact et compliments très sympathiques, un artisan qui vous ajoute et un petit effet boule de neige qui se poursuit avec ses contacts… Cela m’a permis de découvrir des créateurs que j’adore et qui m’inspirent beaucoup, dans tous les domaines. Une nouvelle fois cela prend beaucoup de temps… mais au moins c’est riche de découvertes et gratifiant ! Attention quand même, je suis devenue assez sélective avec le temps car plus vous avez de personnes dans vos cercles, plus votre fil d’actualité augmente, un peu comme Facebook.

– le moteur de recherche : difficile de le dompter celui-là, surtout si on ne veut pas prendre de pub payante pour voir ses résultats s’afficher en premier. Etsy est en majorité un site anglophone, j’ai donc l’impression que les artisans français, même en faisant des fiches en anglais, ne se retrouvent que très rarement en tête de liste. De plus, qui aura l’idée de chercher « écharpe tissée et filée main » ? C’est quand même hyper rare comme recherche, le client lambda cherche une écharpe, un col, un snood, des mitaines, une couleur, mais ne va pas forcément pousser la précision jusqu’à la technique employée pour la création ? Je ne compte donc pas beaucoup sur le moteur de recherche pour « booster mes ventes » dans le jargon Etsy 🙂

– côté ventes, je suis plutôt satisfaite : je pense que cela a permis à des contacts qui n’auraient pas osé demander une commande personnalisée ou qui avaient envie de me donner un coup de pouce  de sauter le pas , et je les en remercie ! J’ai aussi eu l’agréable surprise des premières commandes de personnes complètement inconnues ! Globalement, c’est aussi très pratique pour finaliser une vente, car c’est plus sûr qu’un simple échange de mails, pour l’acheteur comme pour moi.

Bref, bilan plutôt positif pour Etsy : j’y reste donc pour le moment, dans la dynamique qui commence à se mettre en place. Je n’ai pas envie de créer mon propre site de vente pour le moment :  je n’ai plus assez d’articles pour cela et je pense que le travail de création puis de référencement est énorme, alors que la force d’Etsy est justement le côté réseau d’artisans, mais aussi sa facilité de prise en main, pour une commission finalement minime. Je n’ai pas non plus le temps dans l’immédiat : je verrai si un jour j’achète mon propre nom de domaine, avec un nouveau visuel, des galeries d’images, et une partie boutique ? Mais pour le moment cela me convient que blog et boutique restent séparés, ceux qui s’intéressent aux articles et aux infos musiques, livres, expos… peuvent lire tranquillement les posts, et s’ils ont un jour envie de faire un tour côté boutique, ils savent où la trouver (enfin j’espère :D).

On peut aussi relier facilement Etsy à Facebook, à différentes plateformes de blog etc… Et c’est aussi une mine d’or pour trouver des fournitures !

Je compte donc continuer à mettre ma boutique à jour car c’est une bonne vitrine (pour les gens à qui je donne ma carte de visite par exemple), à faire d’aussi bonnes fiches que possible, à continuer d’élargir mes contacts et inspirations, par contre par manque de temps et pour les raisons citées plus haut,je mets les teams en pause tant que je n’en aurais pas trouvé une sympathique et efficace.

  • Facebook

J’avoue me poser régulièrement la question d’abandonner complètement ou partiellement Facebook : mon profil perso me sert pour le blog en général, ma page pour l’atelier uniquement. J’ai de bons retours et j’ai pu là encore trouver ou retrouver un bon nombre d’artisans. Charger les photos dans les albums ne prend pas beaucoup de temps si on le fait régulièrement, et j’ai vraiment pu élargir mes contacts à des personnes autres que mes « amis ».

En revanche, c’est le principe qui m’énerve prodigieusement ! Les pages ont changé de fonctionnement et n’apparaissent plus dans le fil d’actualité, sauf si la personne en fait explicitement la demande en cochant un truc complètement planqué ! Du coup, même sans avoir l’oeil rivé sur les stats, on s’aperçoit vite qu’on a beaucoup moins d’audience qu’avant ce nouveau système… et il faudrait payer pour mettre son annonce en « sponsorisé » et qu’elle apparaisse au plus grand nombre, au secours ! Bref, la question Facebook est à l’étude…

En fait, cela me conduit à me recentrer sur ce blog, et sur le réel…

  • Ce blog

Là, c’est une de mes grandes satisfactions, et ce qui pour le moment a le plus marché pour l’atelier : articles, photos, explications, partage de connaissances, prises de contact sympathiques, voire naissance de belles amitiés. Pas de souci, je continue ! Et j’encourage tous les artisans à ne pas négliger cet aspect là de leur activité tant cela m’a apporté. Seul bémol, l’impolitesse de certaines personnes : eh oui, je ne suis pas un robot ! Quand je prends le temps de répondre et de conseiller longuement par un message personnel, j’apprécie un petit merci 🙂 Je vais continuer de développer les ressources car ce sont vraiment des pages très consultées, en plus des articles.

  • Le réel

C’est là encore un travail énorme, mais tellement épanouissant et vivant, même s’il n’est pas toujours facile de trouver son public ! Je n’ai pas cherché d’événements particuliers pour cet hiver et ce début d’année, avec la venue imminente de notre petite fée je ne voulais pas mener cette nouvelle vie de maman et m’engager sans certitude ou alors avec un maximum de pression pour des marchés, expositions etc… Mais c’est vraiment quelque chose que j’ai envie d’approfondir. J’ai par exemple rejoint à l’automne l’association « Textiles Métiers d’Art Bretagne » alias TMAB. J’ai rencontré des artisans de talent ici dans le Finistère et en Bretagne, avec qui plusieurs projets sont en train de voir le jour.  Cela rejoint complètement ma ligne de conduite locale, éthique et autonome 🙂

  • L’épineuse question des prix

Je vais jouer la transparence sur cette question. C’est un sujet trop peu abordé je trouve, à part entre artisans. On trouve parfois ce que je fais très cher et complètement hors budget, je l’entend ou le lis de temps en temps. Mais quelles étapes, quel travail représente chaque pièce ? Les exemples qui vont suivre s’appliquent au tissage et au filage, mais sont bien souvent valables pour nombre d’activité artisanales.

buyhandmade

Quelques questions générales pour commencer…

A combien d’euros évaluer mon travail, dois-je le faire à l’heure, ou plutôt avec une sorte de forfait, de moyenne ? Quel repère choisir, le SMIC horaire net soit 7,38 à ce jour ? Pas moins quand même (dans la réalité : oh que si !) ?
Sachant que je dois aussi inclure les 20% de charges de mon statut d’auto-entrepreneur : plutôt que de faire tout cela au noir, j’ai choisi de faire vivre mon activité dans la légalité 🙂
Et si je vends avec un intermédiaire, il faudra qu’il prenne sa commission lui aussi… Faut-il augmenter le prix final, ou réduire notre marge à tous les deux ?
Et si jamais je veux prévoir une promotion ? je n’ai pour le moment aucune marge de manoeuvre : sachez qu’avec la promotion « coup de frais dans la boutique » en cours actuellement, je reviens quasiment au prix des fournitures et des charges, sans aucun bénéfice ou presque sur certains articles quand la réduction va au-delà de 30%.

Autre aspect important : puisque chaque création est unique, impossible de commander « en gros », donc d’avoir les réductions qui vont avec : point de pelotes commandées par 10 ou plus, pas de cônes interminables, de chaînes de métier à tisser immenses qui serviront pour plusieurs modèles, ni de tricot au kilomètre, de pendentifs ou de décorations commandées en lot pour les besaces ! Je paye donc le même prix que le prix public. (NB : attention, je précise que je ne vise ni ne critique personne ici : j’explique juste comment je fonctionne, loin de moi l’idée de pointer du doigt qui que ce soit ou de dire que ceci est mieux que cela… Ce sont des manières de faire différentes, dans des contextes différents, chacun sa manière de fonctionner selon ses objectifs, et ses possibilités).

– Prenons donc un premier exemple, le plus simple : j’achète de la laine du commerce équitable et je la tricote en un gros col pour la boutique. Qui dit pure laine dit un prix supérieur à l’acrylique et autres joyeusetés, si en plus on parle de laine bio et/ou labellisée commerce équitable comme ici, il faut encore un peu alourdir la note, soit une vingtaine d’euro (une pelote = un col). Je vais passer au moins 2-3 heures à tricoter le col (c’est peu, car le fil en question est très dodu) et à le finir (boutons ou système de fermeture). Alors, combien vaut-il ?

20 € + (3 heures à 7 €) + charges de 20% =  50 € au minimum, en théorie.

Col Malabrigo Rasta zoom

Col Malabrigo Rasta zoom

– Deuxième exemple, j’achète des pelotes (là encore bio et/ou commerce équitable), et je les tisse : mettons 300m de fil de chaîne pour une belle longueur et largeur, et selon le fil 200m pour la trame… Il faut déjà compter 25-30 € de fournitures si on veut un beau mélange mérino et soie. Je vais ensuite monter les fils sur le métier, tisser, démonter l’écharpe obtenue et nouer les extrémités pour les franges, puis la laver et la faire sécher, éventuellement la repasser ou la stabiliser pour un rendu impeccable… Difficile d’évaluer le temps passé car je n’ai jamais fait toutes ces étapes à la suite en une seule fois : disons à la louche que tout cela va me demander 5-6 heures de travail au moins, plus encore si cela implique deux trames, des changements de motif…

Petit calcul à nouveau : 30€ de fournitures + (6h x 7€) + 20% de charges : au moins 85 € ?

– Troisième exemple, le « filé-main » : alors là, on bascule hors du temps : la fibre est-elle préparée ou non ? Si oui, je dois « juste » la filer, ce qui peut aller selon la grosseur du fil d’une demie-journée à plusieurs dizaines d’heures : sans rentrer dans le technique, on peut utiliser un fil seul, c’est-à-dire un célibataire. Mais souvent, si vous observez vos lainages, vous verrez que le fil qui le compose a plusieurs brins : si l’on reproduit ces étapes manuellement avec un rouet, il faut une première longueur de fil, donc un premier filage… puis une deuxième longueur de fil, voire une troisième, donc autant de filage à nouveau… pour ensuite retordre tout ce petit monde ensemble : vous avez fait deux ou trois fois la même étape, mais votre longueur est toujours la même, vous me suivez 🙂 ? Autre solution, vous utilisez un retors navajo qui retord votre fil sur lui-même en trois brins… donc vous divisez sa longueur initiale par 3. Heureusement pour moi j’aime bien les fils à multiples nuances qui se suffisent à eux-mêmes en célibataires, j’aime aussi retordre mes fils avec un fil de soie que j’ai acheté dans le commerce ou mieux en brocante, ce qui me permet de ne garder que la première étape, et le retors.

Allez, je tente le calcul quand même, avec une moyenne très approximative, en partant d’une tresse prête à être filée :
10h de filage, retors et stabilisation + 6h de tissage = 16h de travail, x 7€ = 112 € rien que pour le travail, auquel s’ajouteraient les fournitures et les charges…

Vous comprendrez que je ne vende pas mes filés-mains : côté prix, je ne m’y retrouverais pas, et surtout je les chéris tellement que j’ai en général une idée pour eux, depuis le moment où j’ai eu la tresse ou la nappe entre les mains. Ma démarche étant centrée autour de la fibre, je choisis de A à Z ce que je vais faire avec elle(s).

Filage en cours sur mon Matchless, alias Sterenn

Filage en cours sur mon Matchless, alias Sterenn

Quant à des projets à partir de la fibre juste lavée que je dois carder, teindre, filer, puis crocheter ou tricoter… Je préfère ne pas compter et donner une valeur financière : ces pièces là, comme les châles par exemple, sont destinées à des cadeaux, des trocs entre artisans qui eux aussi n’auront pas l’oeil sur les fournitures et leur montre 😉

Puisque l’atelier n’est pas mon gagne-pain principal, je souhaite garder ce luxe précieux de ne pas me mettre la pression, l’obligation de produire, d’être rentable, au détriment de ma créativité, du choix des matières et de ma démarche : pour en avoir discuté avec d’autres artisans, certains sont complètement découragés et désabusés de ne pas réussir à vivre de leur activité : c’est un poids énorme de devoir supporter toutes les casquettes ! Gérer les comptes, la communication, les événements, une présence virtuelle, trouver le temps de créer, de proposer de nouvelles collections, de se former… Avec parfois si peu de résultats à l’arrivée, ou à peine de quoi équilibrer les comptes sans réussir à se payer ! On parle souvent d’essayer de revaloriser le fait-main, l’artisanat… mais ce processus est long, et force est de constater que tout le monde ne le comprend pas à l’heure du made in China et du tout consommable, tout jetable… On m’a par exemple suggéré de suivre la mode pour que mes créations collent à l’air du temps : cela ne me parle pas du tout, je ne la suis déjà pas à titre personnel, et j’espère que chacun de mes cols, châles ou écharpe sera apprécié et porté par son propriétaire bien plus d’une saison !

La solution est-elle de s’autoproclamer artisan d’art, artiste etc… pour justifier des prix élevés ? Je ne le pense pas, car j’aime aussi peu les titres que les étiquettes, dans l’artisanat comme dans la spiritualité : pour moi la reconnaissance vient avec le temps, avec beaucoup de travail et d’humilité, et ce sont nos pairs qui nous reconnaissent comme tels, pas nous qui devons faire ronfler un pedigree pour nous rassurer ! Attention, je ne parle pas évidemment des personnes qui ont un vrai cursus, un apprentissage et un savoir-faire, plutôt de celles qui se donnent le titre avant d’être, et malheureusement il y en a.

Voilà, je crois avoir fait le tour… J’ai peut-être soulevé plus de questions que de réponses, merci aux courageux qui m’auront lue jusque là ! Ce premier bilan après une roue de l’année se veut optimiste : je suis vraiment heureuse de ce que je fais, de la manière dont les choses ont fonctionné jusqu’ici, de ce qui s’annonce pour la suite, après un premier tri nécessaire. Il faut du temps pour cerner le fonctionnement de certains outils, décider s’ils sont utiles ou pas, essayer, se planter, réussir, se recentrer, ne pas se décourager, créer son réseau, s’entraider, faire circuler l’information et les ressources… Et je fourmille de projets et d’idées que j’ai hâte de partager avec vous dans ces pages !